Thinking Onshore

Thinking Onshore

« Les jeunes camerounais manquent de véritables repères nationaux ».

Réaction à l’article de Marius M. FONKOU sur « Les modèles antirépublicains : pourquoi fascinent-ils les jeunes? ».

 

En prélude à la fête nationale de l’Unité, Marius M. FONKOU et de nombreux autres journalistes et étudiants ont rédigé une série d’articles pour le compte du n° 59 du magazine HORIZON PLUS. Le dossier « Les modèles antirépublicains: pourquoi fascinent-ils les jeunes? » m’a particulièrement marqué et j’ai (Beloise M. NGOUEGNI) décidé de faire parler ma plume.


Pourquoi les jeunes Camerounais préfèrent-ils les modèles antirépublicains?

Bonne question, très bonne question même; elle nous enverra fouiller non seulement dans l’histoire ; on le sait, c’est l’histoire d’un pays qui fait ses Hommes, mais aussi dans la psychosociologie étant donné que l’Homme est le fruit de la société dans laquelle il vit…


De désillusions en désillusions


S’il faut donner des synonymes au mot « désillusion », ce serait surement  « déception », « déconvenue »,  et … « Cameroun ». Oui Cameroun !  C’est bien ce que ce pays signifie pour la plupart de  ses citoyens depuis les années 60.

A chaque fois en effet que les Camerounais ont eu un rêve qui aurait pu les rendre « heureux », ce concubinage dévastateur est venu leur mettre un gout d’amertume dans la bouche faisant de ce fait grandir en eux un sentiment profond de frustration et de déception qui peut justifier en partie leur comportement d’aujourd’hui.

Petite leçon d’histoire :

D’entrée de jeu, il y a le grand rêve de l’indépendance d’avant 1960 ; rêve qui peint dans les fantasmes des Camerounais de cette dure époque une vie de liberté ; liberté de penser, liberté de parler, liberté de décider, liberté se sentir chez eux dans tous les recoins de leur pays. Le Camerounais rêve de « chasser les blancs » pour redevenir maitre chez lui. Pour réaliser ce rêve, convaincu que l’après serait forcement meilleur, ils  luttent, luttent pendant longtemps, pour la plupart jusqu’à la mort : Martin Paul SAMBA, Rudolph DOUALA MANGA BELL, Charles ATANGANA, UM NYOBE…

1946 : les choses commencent à s’améliorer avec la création de l’ARCAM (Assemblée Représentative du Cameroun) ; les Camerounais, majoritairement représentés, ont désormais leur mot à dire dans la gestion de leur pays. Mais ce n’est pas suffisant! Ils veulent plus ; l’autonomie interne complète. C’est ainsi que de lutte en lutte, l’espoir nait, notamment en 1957 avec l’investiture d’André Marie Mbida en qualité de premier ministre du Cameroun. Cet espoir se concrétise entre Février et Décembre 1958 avec la succession de ce dernier par Ahmadou Ahidjo qui à son arrivée, forme un nouveau gouvernement, demande dans son programme une autonomie interne totale, la fixation de la date de l’indépendance et de la réunification des deux Cameroun et enfin, la coopération avec la France ; programme qui va se concrétiser par l’ordonnance du 30 Décembre 1958.

1er Janvier 1960, joie totale, allégresse générale dans la nation ; l’indépendance est solennellement proclamée par  Ahmadou Ahidjo. Le Cameroun, désormais, n’est plus un pays colonisé, il n’est plus représenté par les assemblées françaises ; il a tous les pouvoirs pour faire ses lois administratives, le pays rend justice, la nationalité Camerounaise est reconnue sur le plan international. Ahmadou Ahidjo qui est élu en Mai de la même année président de la république est dès lors symbole de cette liberté, de cette indépendance sur laquelle le Camerounais avait tant fantasmé. Cependant, le Camerounais ne sait pas ce qui se cache derrière la « coopération avec la France » et encore moins  ce qui se cache derrière ce « havre  de paix » en la personne de Ahmadou Ahidjo.

A peine le temps de vivre pleinement ce premier grand rêve ; désillusion totale, éclaboussure indélébile de la joie de l’indépendance: régime de la terreur, dictature, Ahmadou Ahidjo est qualifié de « chef des harkis kamerunais auxquels la transition coloniale à la néo colonisation a confié les rênes du gouvernement fantoche de notre pays ».

Vient alors le second grand rêve national: Ahidjo doit partir ; il doit laisser sa place à un autre Camerounais qui ferra passer le Cameroun de « gouvernement fantoche » à « gouvernement réel », celui qui viendra restaurer le premier grand rêve Camerounais.

1982 : Ahidjo démissionne de son poste de président de la République du Cameroun le grand rêve est donc réalisé ; Paul Biya, alors premier ministre prend sa place, place confirmée par plus de 99% des suffrages exprimés lors des élections présidentielles anticipées du 4 janvier 1984. C’est le président de l’Espoir, le président de la Restauration, le président du Renouveau. Mais en 1986 survient ce que Ulrich TADADJEU va appeler une vingtaine d’années plus tard « crise de bienvenue aux multiples conséquences » : le train de vie de l’Etat chute, au fil du temps, le pays qui comptait parmi les plus développés de sa sous région tombe en récession.

Conséquences, réduction du budget de certains secteurs comme l’éducation, réduction du salaire des fonctionnaires, dégradation de l’économie et naturellement du climat social tout ceci ajouté à la monté de l’enrichissement illicite des membres du gouvernement porteur de l’espoir de tout un peuple.

Bref, deuxième gifle brutale et inattendue, naissance du troisième rêve : Voir Paul Biya partir !

Heureusement, l’espoir fait une foi de plus (…) ou de trop son entrée dans les cœurs avec la libéralisation politique qui conduit à la création de nouveaux partis politiques dont le SDF(Social Democratic Front), le parti de l’espoir ; espoir fracassé une fois de plus (…) ou de trop par les trucages électoraux notamment ceux de l’année 1992 où le Rapport de ‘International Crisis Group’, rapport du ‘Ndi in Ruptures et Continuités au Cameroun’ reconnait John Fru Ndi comme vainqueur.


 

Des désillusions à la mort… et au meurtre.


Exaspéré, le camerounais s’abandonne au déterminisme et au je m’enfoutisme ; il n’a plus ni volonté  et ni conscience, il est mort ! Il accepte désormais tout ce qui lui arrive sans broncher, il se «  laisse couler tranquillement dans le lit du fleuve le son destin » ; le peuple camerounais, jeune comme vieux est un peuple qui fait semblant de vivre pourtant, est collectivement mort.

Il s’est enterré soit dans le passé, soit dans les églises, soit il a tout simplement tué Dieu dans sa vie, ou… tout à la fois. Pour le constater il suffit 1-de l’écouter parler ; on reconnait tout de suite les champs lexicaux de la passivité et du ‘je m’enfoutisme’, surtout chez le jeune, le plus âgé se faisant plus discret. Des indices? « On va faire comment ? », « pour moi quoi ? », « je fabrique ? », « mon ami ! Dieu en m’envoyant il a dit ‘parts’ et non ‘partez’… »  et j’en passe. Chez le plus âgé, entendez ici celui qui a vécu à l’ère Ahidjo, on retrouve plutôt le champ lexical de la nostalgie : « Au temps de Ahidjo… » pour évoquer le temps où il avait beaucoup d’argent.  2-De voir le nombre et les différents noms d’églises qui existent dans votre ville uniquement : « La chapelle des vainqueurs », « Jésus revient bientôt », « L’église du bonheur »…

En effet, le Camerounais, avec son « cœur de lion indomptable » a continué à croire en un avenir meilleur malgré tout et ce, pendant longtemps ; jusqu’à  comprendre progressivement que cela ne valait pas la peine : les opposants au système en place sur qui il comptait ne s’entendent pas entre eux, ils n’acceptent pas eux même l’opposition (cf. Marius M. Fonkou «  Je suis opposant, donc ne t’oppose pas à moi »), on les qualifie même de « ministères du gouvernement » vu leur proximité à celui-ci, les élections manquent de crédibilité et… le camerounais est toujours pauvre, la vie est toujours chère, rien ne change si ce n’est vers le négatif. Il (le camerounais) abandonne donc les urnes à leur propre sort, il jette les armes en tout ce qui concerne l’avenir du pays et en parlant d’avenir on voit aussi directement l’éducation des jeunes, fer de lance de la nation comme il se plaît tant à le dire.                                     

Evidemment, lorsqu’on est mort, on n’a plus rien à perdre, on n’a plus rien à donner, on n’a plus peur d’être jugé, on ne s’inquiète plus de rien, tout ce qui compte c’est « moi » même si on fait semblant de vivre avec l’autre, le pays, on s’en fou.


 

De la mort à l’hypocrisie.


Noyé dans ce climat, le camerounais se limite désormais au court terme, je dirai même au très court terme, n’hésitant pas à ‘marcher à droite en regardant à gauche’. « Le bas ventre et le ventre, le tour est joué » chanté par Lady Ponce n’est pas une phrase anodine capturée lors d’une bouffée d’excitation, non ! C’est la loi qui régit la vie de bon nombre de Camerounais.  On verra ainsi des jeunes étudiants se plaignant chaque jour des conditions de vie imposées par le système en place ne pas hésiter à soutenir ce même système parce qu’il y a toujours le « onzième point » à la fin de ses manifestations ou encore, ils n’hésiteront pas à tenir un discours laudatif à l’endroit des personnes qu’ils culpabilisent pour leur malheur parce qu’il y aura « quelque chose » à la fin. Aux personnes indiscrètes ils répondront « on va faire comment ? » ou « le camer a les dents » ou encore « je fabrique ? ».

Les plus courageux sont bel et bien encouragés par leurs tiers mais au moindre obstacle ceux-ci se dérobent discrètement sous les phrases telles que « mon ami, on n’est pas venu au monde ensemble ! » si ce n’est eux même qui livrent leur « héro » en échange d’un peu de sous, ou d’un poste bien ou mal fourni ou d’un billet d’avion pour fuir ce « camer qui a les dents ».                                                                                        Un psychologue vous dirait qu’ils n’ont pas tord de se comporter ainsi, ils ne sont que le fruit d’évènements déconcertants hérités ou non, le fruit de leur temps et leur société.


En plus...


Pourquoi le jeune camerounais devrait-il aujourd’hui décider de changer les choses, de se comporter autrement que monsieur tout le monde ? Le jeune camerounais dès la base est en effet soigneusement protégé de la culture de l’effort. Il avance quoi qu’il en soit, qu’il ait assimilé ou non ses leçons, tout le monde a droit à une place dans le train de la  ‘promotion collective’ ; et ce ne sont pas les responsables de l’éducation de base qui s’en arrachent les cheveux. Dans ce climat, étant donné que les choses deviennent un peu plus rudes au fur et mesure qu’il avance et se confronte à de nouvelles réalités, le jeune camerounais « fer de lance de la nation » ne peut que tricher, corrompre, se livrer au pratiques immorales sous l’œil approbateur des plus grands bien sur. Pas étonnant donc de constater que le taux de tricherie va grandissant dans les établissements scolaires et estudiantins et dans la société en générale!                                                                                                                                                                                        

Ajouté à tout cela, le jeune Camerounais manque cruellement de repères nationaux ; il n’a, ni ne connait ses héros nationaux ; par conséquent, il abandonne toutes luttes tout héroïsme et se conforme à la masse. Petite précision ; par les ‘héros’ je veux dire les ‘vrais héros’ tels Rudolph DOUALA MANGA BELL, UM NYOBE, Félix Roland MOUMIE, Ernest OUANDIE, pas les célèbres « feymen » comme Donatien KOAGNE et les autres, car ceux là sont connus dans les moindres détails… sans compter les héros des téléréalités et séries américaines et européennes tant affectionnées par les médias et à qui le jeune Camerounais voue un suivisme moutonnier faute de connaissance réelle des vrais modèles nationaux.

Pour renchérir encore plus, lorsqu’on regarde les médias qui sont un puissant moyen de control de l’opinion sociale, on a l’impression que tout le monde veut faire croire aux jeunes que leur pays est en état de décomposition avancé et qu’on ne peut plus rien faire pour le sauver; le pire c’est que cela marche plutôt bien jusqu’ici. Ils ne présentent que la face négative de la nation, rarement la face positive; rarement des personnes qui sont allés à contre courant des idéologies en place, pourtant il y en a il suffit de vouloir les trouver ce que je vous invite à faire.

D’un héritage douloureux des frustrations et des déceptions de leurs parents à une mort précoce aux multiples conséquences, les raisons de l’engouement des jeunes camerounais pour les modèles antirépublicains sont multiples et pour certaines, expressément occasionnées. Ils sont des dignes fils de leur société.  Mais il n’en demeure pas moins que tout ce qu’on fait de sa vie est un choix exprès et délibéré et les jeunes Camerounais pour la plupart, ont décidé de ne pas choisir, de laisser les réalités sociales et politiques de leur pays choisir à leur place. On dira que les jeunes Camerounais sont des innocents dans l’histoire mais n’oublions pas… l’innocence est une culpabilité ignorée ou… refoulée.


 

«  La réussite se trouve dans l’effort et non dans le résultat »…

 Je vous Aime…

Beloise M. NGOUEGNI



15/12/2012
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