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Après la crise libyenne Quelle Afrique sans Kadhafi ?

Après la crise libyenne

Quelle Afrique sans Kadhafi ?


Après avoir essayé pendant plus de 08 mois de mater une rébellion revendiquant la liberté, Mouammar Kadhafi a été finalement abattu le 20 octobre 2011 à Syrte. Mais les rapports entre les nouveaux hommes forts de Tripoli et la lutte pour une Afrique debout – c’était une grande de préoccupation pour Kadhafi – restent à définir.  Expert de l’Union Africaine, Jean Emmanuel Pondi, l’ancien directeur de l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric), esquisse une analyse. Compte-rendu d’une rencontre d’échanges à Dschang.

 

 

Quel futur pour l’Union Africaine (UA) et quel destin pour les investissements libyens en Afrique, maintenant que Mouammar Kadhafi, l’un des militants acharnés de la cause panafricaine, n’est plus ? La réponse du Pr. Jean Emmanuel Pondi est sans ambiguïté : le développement de l’organisation continentale connaîtra un ralentissement, en même temps que le niveau des investissements libyens va chuter. Devant une centaine d’étudiants et enseignants réunis le 02 novembre 2011 dans la salle B6 du campus A de l’Université de Dschang, l’universitaire sollicité par l’Association pour l’unité et le développement de l’Afrique (Auda) a présenté sa position au cours d’un échange sur « l’impact de la disparition de Mouammar Kadhafi sur le développement de l’UA ».

Le Pr. Pondi qui a plusieurs fois rencontré le guide libyen dans le cadre de ses missions pour le compte de l’UA a, entre autres, montré à la fois l’implication du colonel Kadhafi dans l’émergence de l’UA et les investissements libyens pour une Afrique économiquement debout, avant d’analyser la position du Conseil national de transition (CNT) qui est aujourd’hui au pouvoir en Libye. Depuis la rencontre de Syrte en juillet 1999 jusqu’à la création effective de l’UA en juillet 2002 à Durban en passant par la signature de l’acte constitutif en juillet 2000 à Lomé, le guide de la Jamahiriya (République des masses) arabe libyenne s’est personnellement investi, engeant d’énormes ressources financières pour faire avancer les Etats vers l’union. Il souscrivait ainsi à l’idée chère à beaucoup d’Africains à l’instar de Barthélemy Boganda ou Kwame Nkrumah qui, avant lui, avaient démontré que c’est en étant unis que les Etats africains peuvent faire triompher leurs intérêts et opérer une percée économique véritable.

 

Le CNT a le dos tourné à l’Afrique noire


On pouvait en effet lire dans les actions de Kadhafi, soutient Jean Emmanuel Pondi, la vision d’une Afrique économiquement debout. Conscient du rôle des télécommunications dans le développement socioéconomique des pays, le colonel Kadhafi a mis à contribution les ressources financières de son pays pour doter l’Afrique d’un satellite de télécom. Il a surtout promu la création d’un Fonds monétaire africain dont il a promis d’apporter 16 des 34 milliards de dollars US nécessaires au démarrage de l’institution prévu le 15 mars 2012. La Libye de Kadhafi s’est par ailleurs illustrée ces dix dernières années dans des investissements accrus en Afrique subsaharienne (ASS) en créant du business et des emplois un peu partout. Les exploitations du Mali et du Soudan en sont des illustrations patentes. Mais que va devenir tout cela ?

Pour le Pr. Pondi, la nouvelle Libye ne présente pas pour le moment les mêmes dispositions pour l’accomplissement de l’UA et le rayonnement économique de l’Afrique. Ce n’est pas le grand amour, affirme-t-il, entre le CNT et l’UA ; l’organisation continentale tolère simplement les nouveaux hommes forts de Tripoli. De fait, l’UA avait clairement pris position depuis le début de la crise libyenne en indiquant que l’on assiste à une guerre imposée à la Libye. Elle avait alors recommandé la cessation des hostilités, la formation d’un gouvernement d’union nationale qui inclurait les ex-rebelles et la rédaction d’une Constitution qui garantit les libertés publiques. Mais jamais l’UA n’avait préconisé le retrait de Kadhafi ou alors la prise du pouvoir par la force.

Pour ces motifs et bien d’autres, le CNT qui est arrivé au pouvoir grâce à l’action des forces de l’Otan semble avoir le dos tourné à l’Afrique subsaharienne. Ses connexions avec l’Occident dont les intérêts sont loin d’être ceux d’indépendance et de développement de l’Afrique sont encore bien fortes pour qu’elle accélère la formation de l’UA et les investissements continentaux. D’ailleurs, a noté un participant à l’échange, le siège de l’UA à Syrte a été bombardé : un signal clair ?

 

L’Afrique subsaharienne va subir…


En énonçant sa prospective, le Pr. Pondi qui a souhaité être contredit par les faits a indiqué que la chute du leader libyen risque d’accroître le chômage en ASS. Le reflux des migrants ainsi que le durcissement des conditions d’accès des autres Africains à la Libye pourraient en effet être douloureusement vécus par l’Afrique noire de façon générale. Pays africain à l’indicateur de développement humain le plus développé et Etat le moins endetté du monde, la Libye de Kadhafi était considérée par de nombreux Africains comme un eldorado économique. Beaucoup y sont allés pour travailler, tout comme certains y ont souvent vu leur séjour comme un tremplin pour atteindre l’Europe.

Tout en reconnaissant que la Libye était une vraie dictature bien que prospère, le Pr. Pondi a affirmé que la disparition de Kadhafi est une grosse perte pour l’Afrique. Dans l’objectif d’affranchissement politique et économique du continent, l’UA doit en prendre acte et réajuster ses stratégies, en même temps que les Etats devraient réévaluer leur participation.


 

Marius M. FONKOU


19/02/2012
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